Le Thé en Russie
De la diplomatie
Les premiers russes qui boivent du thé sont deux émissaires moscovites envoyés visiter le Khan de Mongolie Altan Khan en 1616. D’autres diplomates visitant la Chine se voient offrir ce breuvage, mais ils refusent de le consommer ne sachant pas s’il est autorisé par le christianisme orthodoxe, en particulier en période de jeûne ; ces réticences rendent les relations entre ces deux pays extrêmement difficiles.
Chaque mission diplomatique est catastrophique, le khan comme les émissaires russes s’estiment lésés. Le Khan, se plaignant des offrandes russes, décide de couvrir le tsar de cadeaux pour l’humilier : il lui envoie des tapisseries de soie, d’or, d’argent ; des tissus et des fourrures notamment de zibeline, hors de prix ainsi qu’une centaine de kilos de thé. Bien que les émissaires ne voient pas l’intérêt des caisses de feuilles mortes, ils finissent par accepter cette partie des présents, qu’ils ramènent à la cour de Russie.
Populaire grâce à la santé
A cette époque, Moscou commence aussi à être approvisionné en café, boisson qui reste peu populaire, contrairement au reste de l’Europe. Les produits importés sont accueillis froidement, d’autant plus qu’une loi orthodoxe interdit de suivre les habitudes des étrangers. A cette époque le thé semble avoir des vertus thérapeutiques, ce qui l’assimile à de la sorcellerie formellement interdite par le Domostroï (texte pratique traitant de la gestion domestique).
C’est grâce au médecin particulier du tsar Alexis, Samuel Collins, que le thé va pouvoir se populariser. Celui-ci précise dans ses mémoires que les Anglais, comme les Chinois et les Hindous le consomment comme remède rare aux maladies des poumons et aux malaises de l’estomac. C’est donc pour ses vertus médicinales que le thé commence à être importé et consommé à l’européenne, c’est-à-dire avec du sucre. On ne parle pas à ce moment là, du thé au lait et au beurre, non sucré à la mode asiatique, pourtant toutes les importations se font depuis l’Asie. Le bouche à oreille va permettre la découverte de cette boisson en Russie, mais l’opposition à sa diffusion reste tenace ; à cette époque, le poison reste le moyen le plus commun des assassinats politiques et il est très facile de remplacer une herbe par une autre.
La route de Sibérie
Cependant, en 1679 la Chine et la Russie finissent par signer un traité qui va permettre aux caravanes d’échanger du thé contre des fourrures. Mais à cause de son coût élevé, le thé reste confiné à Moscou et accessible aux familles les plus riches. En 1689, l’annexion de la Sibérie à la Russie permet de créer la route de Sibérie, itinéraire privilégié des marchands entre Chine et Russie. Pierre le Grand continue l’occidentalisation de la Russie et décide de nationaliser les caravanes circulant entre les deux pays.
Peu à peu, cette boisson se démocratise, à la fin du XVIII siècle les importations de thé noir triplent. La consommation du thé en brique augmente également, ce qui montre que même les classes populaires ont pris l’habitude de consommer du thé quotidiennement. C’est à cette époque que les industriels commencent à produire des samovars, outil de préparation du thé. Tula, devient le centre de fabrication, en 1850 plus de vingt huit fabriques en produisent 120 000 pièces par an ! Les ustensiles de dégustation sont souvent en métal, contrairement aux autres pays européens.
Transsibérien et démocratisation du thé
A la fin du XIX siècle, les premières plantations commerciales de thé se développent, un paysan ukrainien parvient à créer un hybride résistant au froid, c’est le thé géorgien. Les importations de thé restent importantes cependant la construction du Tanssibérien marque la fin des caravanes de thé comme moyen de transport. La consommation annuelle de thé avoisine la livre par personne, d’autant qu’il est vu comme une solution alternative à l’alcoolisme, notamment dans les classes populaires.
Au cours du XX siècle, en particulier à cause des deux guerres mondiales, les importations de thé de Chine s’arrêtent quasiment, en Sibérie c’est plutôt le thé vert japonais qui est consommé. La révolution russe provoque la fermeture des usines de brique de thé de Chine, du coup l’effort est porté sur la culture du thé en Géorgie, puis dans les années 30 en Azerbaïdjan. En 1941 l’Union Soviétique produit 44% du thé qu’elle consomme. Cependant la guerre froide détériore les relations entre la Chine et l’URSS qui ne produit pas suffisamment pour répondre à ses besoins, ce qui favorise le rapprochement avec l’Inde, qui devient le plus grand fournisseur de la Russie. A la dissolution de l’Union Soviétique, la Russie reprend ses contacts commerciaux avec la Chine, qui devient un fournisseur majeur de thé dans les années 1990, sans supplanter l’Inde dont les tarifs sont inférieurs.
Consommation du thé en Russie :
La façon de boire le thé en Russie est typique et originale. Il faut d’abord préparer dans une petite théière un thé très concentré, le zavarka. Cette théière est placée au sommet du samovar pour être conservée chaude. Pour préparer une tasse de thé, il faut donc verser un peu de la « liqueur » de thé, qui est ensuite diluée avec de l’eau chaude du samovar. A Moscou il est apprécié fort et amer. Et pour adoucir son amertume, il est coutume d’y ajouter de la confiture, du citron, de la crème ou même des fruits secs. Le sucre lui n’est pas mélangé dans la tasse, mais déposé dans la bouche afin d’être traversé par le thé.
Au XIX siècle de nombreux comptoirs de thé sont crées, celui de Pavel Michailovitch Kousmichoff devient très vite le fournisseur officiel du tsar. La créativité de ses mélanges fait sa réputation. Notamment il propose un « goût russe » aux notes d’agrumes, de vanille et d’épices qui perdure aujourd’hui encore. Il fuit la Russie au moment de la révolution pour finir par s’installer à Paris où la maison Kusmi Tea ® se développer pour être aujourd’hui une référence mondiale. Le nom de la marque Kusmi Tea ® est en fait un jeu de mot entre Kousmichoff et kusmi cha (cha signifiant thé en chinois, il se rapproche aussi du terme tchaï russe signifiant thé, ce terme est finalement remplacé par Tea pour une meilleure vente internationale).
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